Pourquoi j’écris…

L’écriture me tient depuis bien longtemps : pièces de théâtre et romans écrits à partir de vingt ans ont été nombreux dans les tiroirs sans tentative de parution avant de partir au feu. Peut-être que le texte qui suit, écrit en dehors de toute parution, est le mieux à même de montrer comment ce besoin de l’écriture m’a longtemps tenu.

« Écrire c’est pour moi puiser dans le chaos de tous les possibles, partir d’une impression, d’une réflexion, de quelques mots et patiemment ordonner, remanier. Voir prendre forme un roman, une nouvelle, un conte, est un plaisir qui m’a accompagnée toute ma vie. Oui, créer me plait. Si j’avais eu des mains habiles, je me serais tournée vers la mode, la décoration, la sculpture ; à vingt ans j’ai essayé la peinture : ce fut un fiasco. L’écriture a pris le relais. Je n’avais pas alors choisi la facilité : les machines à écrire de l’époque ne facilitaient pas la création ! Que de pages refaites; les ordinateurs et traitement de texte ont été pour moi une bénédiction !

Si j’en étais restée à développer des dispositions manifestes pour une activité, je n’aurais rien créé du tout, vu qu’aucun talent, à part l’imagination, n’était évident chez moi. Le plaisir en écriture se dévoile par convexité : le déplaisir des vides entre deux manuscrits est terrible. Je m’y sens comme un être amphibie qui certes a besoin d’air mais qui au fur et à mesure qu’il reste sur terre ressent le manque de l’eau. La liberté retrouvée loin de ma table de travail se paye de quelques creux au plexus, quelques somatisations et d’interrogations lancinantes : si je ne trouvais plus aucun sujet ? Que vienne une simple idée pour un conte ou autre et la machine à inventer est repartie.

Il y a plus d’un an l’écriture m’a abandonnée. Ce fut une mutilation.

Chercher et ne rien trouver finit par avoir les mêmes effets qu’un travail exténuant même dans les muscles ; cette recherche parfois obsédante m’empêchait de dormir et me donnait des réveils dignes d’un métaphysicien surmené. Console-toi, tu as un style. Ça fait pas une histoireTout a été dit, à quoi bon faire un livre de plus. – Bien sûr. – Il y a la vie tout simplement. – Oui je l’entendais, mais ne l’assimilais pas, consciente que j’en devenais vexante pour mon entourage. Ce n’était pas un vide dans l’emploi du temps, non écrire n’est pas un passe-temps, ce n’est pas combler les moments où l’on pourrait tout autant faire du tricot ou des mots croisés. Écrire est un fil du temps qui nourrit le corps… Écrire est une façon de me retrouver, d’avoir un territoire.

«  L’élimination des possibles » pourrait être un titre. Un choix détermine une existence, dans l’écriture un choix détermine la direction de la création. Philippe Roth explique qu’il va à la pêche quand il écrit, il écrit et écrit encore et puis en sort ou n’en sort pas une piste. Depuis des décennies je sais la patience nécessaire, il faut jouer fin avec l’inspiration. Ne pas trop se montrer empressée, mais aussi ne pas lâcher la feuille trop longtemps, comme un chasseur à l’affut, regarder les futures pages désirées du coin de l’œil sans trop d’insistance comme pour mettre en confiance une part enfouie en soi. Trop d’idées n’est pas une bonne chose, c’est comme un puzzle dont on n’a pas le modèle. L’étymologie du mot « texte » est tissu. Il s’agit bien de tracer une trame, de se mouvoir dans la filature des mots, mais il faut avoir l’image finale du tissage au fond de soi.

Un début de roman c’est comme quand on prend un livre dans une bibliothèque, on hésite, on prend on le remet. Un début d’histoire c’est pareil, c’est l’élimination de tous les autres possibles, j’avais trop de débuts sans suite. Puis il n’y a plus eu de débuts. Je m’essoufflais. Pourquoi tu n’écris pas sur les marcheurs que tu croises, je ne suis pas douée pour les rencontres. Tu pourrais inventer leur histoire. Une émotion est nécessaire à l’origine. Les histoires, je ne savais plus. J’ai mis vingt-cinq ans à écrire mon premier véritable roman, et quinze pour le second, je laissais… je reprenais…

Je croyais aller de plus en plus vers la lenteur.

Faute de grands chantiers, j’ai repris l’habitude de noter sur un carnet.

Pas le but, juste la simplicité de l’acte, écrire, un rythme.

Puisque je n’ai plus écrit, je me suis promenée de plus en plus le matin parmi les collines.

J’ai essayé encore telle Pénélope – un roman – faisant, défaisant, triturant en tout sens. Je forçais : ça va resurgir. Mais la pâte informe des phrases que je malaxais était loin de précéder un fond de tarte régulier. J’entendais « Il faut laisser reposer », « Tu reprendras et l’essentiel te sautera aux yeux ».  C’est vrai, les ornements gratuits sautent aux yeux après quelques années passées sur les étagères. Temps et patience sans certitude de réussite. Mes essais donnaient un serpent de mots qui se mordait la queue, une fin d’écriture qui ne voulait pas mourir. Écrire sur la difficulté d’écrire c’était tout ce qui me restait… Un an et demi sans idées sans trames sans personnages, restaient les rêves. Certaines nuits, le sommeil m’offrait de longues phrases alors coulait un ruisseau de mots qui me ravissaient, en étais-je l’auteur ? Non juste le détecteur, un découvreur de tables écrites dans un autre monde. Les histoires y étaient haletantes je ne voulais pas en perdre une ligne et pourtant au réveil tout s’était perdu. L’état de veille me reprenait tout. La demi-somnolence est moins désolante, à cette étrange frontière entre conscient et inconscient viennent parfois des formes poétiques. Passé un temps la volonté était là, – Fais un effort, retiens, – le crayon et le papier étaient mon recours, j’en sauvais des bribes. Puis je les ai laissées passer, avec une vague conscience de leur sillage.

J’ai tout arrêté.

Comme elle était partie, la capricieuse, l’incertaine, l’écriture est revenue à cause d’un déclic : la fiction n’est pas pour moi. Quarante ans à me fourvoyer, à inventer un camouflage. L’important c’était le retour du chemin des mots, la part manquante est réapparue. J’ai repris l’écriture à petites doses comme un convalescent apprécie de manger à nouveau, j’ai écrit sans propos défini et j’ai goûté ce plaisir que croyais perdu à jamais.

Ce plaisir d’écrire est revenu bêtement à cause de mes cheveux. Je voulais me faire un chignon, envie de changer de coiffure avec les cheveux longs. J’avais besoin d’épingles à cheveux. J’ai cherché des épingles en vain dans les grandes surfaces en bord du périphérique, mais on a troqué les épingles à cheveux contre des pinces à ressorts. Une illumination après plusieurs tentatives infructueuses : le petit bazar du chemin bas d’Avignon. Un bazar maghrébin, les femmes sous leur foulard doivent faire des chignons, du moins serrer leurs cheveux. Dans ce bazar où y on trouve du henné, de la semoule de couscous, le coran, des huiles d’olives, des épices, des djellabas.

Deux vieilles dames aux corps lourds, voiles et robes traditionnelles étaient assises et tenaient manifestement compagnie à la commerçante.

  • Des épingles à cheveux !

Elles se concertent.

Non, elles ne connaissent pas. J’allais battre en retraite quand j’ai insisté :

  • Mais pour vos chignons vous n’en utilisez pas ?
  • Ah ! Les invisibles ! Un petit bout de fer mis en crochet c’est ça ?
  • Oui !

Le mot invisible me renvoya à un monde devenu invisible. Mais oui je le connaissais ce mot, ça remontait à l’enfance et me revint la boutique du parfumeur, monsieur Virous, et cette orgie d’odeurs fortes de parfums d’alors. Un mélange d’iris, de roses, de poudre de riz, qui n’ont plus aucun rapport avec les odeurs des parfumeries actuelles. Monsieur Virous à la moustache surannée, à la longue silhouette dans son costume toujours froissé, je revois ses doigts longs ouvrant les flacons. Oui il vendait des invisibles et non de vulgaires épingles à cheveux. Les artifices féminins devaient êtres invisibles à la gente masculine, pour la coiffure comme pour les tailles serrées dans les gaines sous les robes d’été.

Je n’avais plus entendu ce mot depuis cinquante ans au moins. Ces femmes vieillissantes et la commerçante guère plus jeune avaient conservé le mot et j’en imagine la cause. Les occidentales de l’autre côté de la Méditerranée dans les années trente ont dû l’apporter, ce mot. Celui-ci s’alliait bien au secret de la féminité autant pour les occidentales de cette époque que pour les maghrébines. Le monde de la colonisation disparu, les invisibles sont restées, témoins du passé en Algérie et ont disparu chez nous. J’ai connu le quartier du Chemin Bas avec une population maghrébine non voilée, on ne voit à présent quasiment plus de chevelures féminines. Les jeunes femmes voilées ont-elles gardé le mot ? Elles qui veulent rendre invisibles leur corps. Je ne sais mais ces dames du bazar de ce quartier m’ont pour deux euros cinquante donné deux paquets d’invisibles et la jouissance de tout ce que ce terme avait fait resurgir. Et a déclenché le retour de l’écriture et même à ce jour de la fiction.

Mon insuccès relatif auprès des éditeurs pourrait me forcer à conclure qu’il s’agit d’une simple graphomanie, mais loin de moi cette idée. Je ne me pose plus la question de l’utilité d’écrire, de ce que je pourrais réaliser durant ces heures au lieu de pianoter sur mon clavier. J’ai abandonné la culpabilité de m’adonner à ce plaisir solitaire : l’écriture m’est un besoin. 

Livres en attente d’éditeurs

« la pendule de Danton »  

Joseph est miraculeusement sauvé à la naissance par une religieuse ; il est adopté par un horloger et  le deviendra lui-même en suivant sa famille d’adoption à Paris. A la même époque surviennent les massacres perpétrés par la bête du  Gévaudan, mais l’énigme de cette bête n’est pas éclaircie. C’est la période prérévolutionnaire, où les salons discutent des idées des philosophes des lumières et où les rues de Paris et de province s’agitent. Joseph est entrainé dans ce mouvement, et sa vie sera marquée par la Révolution. Son métier d’horloger l’autorisant à pénétrer dans les lieux du pouvoir, il découvre les secrets lui permettant de partir à la recherche de son amour et son destin croisera  alors celui des tueurs du Gévaudan pour finir dans le Midi de la France.

 

Lettres à mon corps, présentation

« Mon « Corps », ton mot  sonne dur comme dans « roc », juste un souffle plus léger par le o ; le souffle de vie passe par cette ouverture. Corps-roc solide, corps-roc mortel tu te briseras selon la loi de l’humain. Mais avant il est temps de faire le point, j’en ai le droit, soixante-sept ans de cohabitation houleuse, des efforts continuels ma vie durant avec toi mon corps… Le long ruban déroulé de tes maux… »

Ce livre intime relate mon expérience de la douleur et de la résilience avec humour et j’espère sincérité.

 

 

 

3 réflexions sur “Pourquoi j’écris…”

  1. Bonsoir Dominique. J’ai parcouru ton site dont j’ai aimé l’humilité, qualité disparue aujourd’hui, ce qui rend la société si fragile et souvent malade.
    Je suis en train d’accomplir ma dernière création théâtrale que je dois reprendre en 2021. C’est un spectacle poétique vivant puisque présenté par 2 comédiennes et un musicien/compositeur qui évoluent au sein même du public. Les textes sont la poésie de Maram Al MASRI. Poésie qui parle aux sens et à l’âme, surtout pas à l’intellect et en ça, anticonformistes. Si cela t’intéresse, on pourra en parler.
    Je te dis « peut-être à bientôt ».
    Monique

  2. Se poser la question et livrer une réflexion apaisée, intime, personnelle, assurée et douce… une belle écriture qui amène dans un lieu, oui un territoire et invite à l’écoute, pourquoi pas à une résonance. A suivre avec plaisir !

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